Les personnalités politiques, syndicales, universitaires ou autres, invitées dans les médias à donner leur avis sur notre crise politique et les moyens pour en sortir, parlent aujourd’hui de plus en plus vite. Ce phénomène nouveau de précipitation dans les prises de parole publiques ne peut pas échapper à celles et ceux qui, comme nous-mêmes, s’intéressent pour l’enseigner à la pratique de l’Art Oratoire.
Prises de paroles trop rapides et sans silences : conséquences
Les enregistrements d’émissions diffusées dans des périodes plus calmes de notre Histoire passée nous feraient certainement entendre des rythmes de paroles plus lents, comportant des silences qui nous feraient du bien. Car l’atmosphère de panique provoquée dans le pays par la crise gagne aussi les auditeurs. La fébrilité des propos tenus par leurs représentants dans les médias les gagne aussi, de sorte que c’est bien la seule chose qu’ils leur transmettent. Il n’est plus question pour les auditeurs de s’intéresser à la pensée de leurs représentants. Ils sont comme le cheval qui tout d’un coup panique parce qu’il sent la peur de son cavalier.
La responsabilité d’un professeur, d’un député, d’un manager ou d’un chef de parti est de permettre à ceux auxquels il s’adresse de penser. Non pas de penser à leur personne, mais au sujet dont ils sont venus traiter et qui justifie leur rencontre. Encore faut-il que ce sujet soit appelé par leurs auditeurs. Il ne peut l’être que par un vide que l’orateur offre à ses auditeurs, pour qu’ils le remplissent de leur attente. Le sujet enfin attendu, l’orateur peut le leur exposer, ils l’accueilleront avec bonheur. Ce vide, c’est le silence qui précède le discours, puis qui l’interrompt régulièrement au cours de son développement.
L’importance des silences dans un discours : un exemple
L’habitant d’un appartement avait pour habitude de retirer chaque soir ses chaussures en les plaquant vigoureusement l’une après l’autre sur le plancher avant de se coucher. Son voisin du dessous s’en est plaint. Le soir suivant, le fautif oublie sa résolution, retire la première chaussure, la plaque sur le parquet, puis se souvient soudain de sa promesse et pose doucement sa seconde chaussure. Quelques secondes plus tard il entend son voisin lui crier : « Alors, elle vient, cette seconde chaussure ? ». L’habitant du dessus a offert un vide à l’habitant du dessous, qui l’a rempli de son attente.
Le silence en Art Oratoire : une clé pour captiver votre audience
Un discours qui ne propose pas de silence est tenu en pure perte. Ces silences doivent se placer aux bons moments et durer le temps qu’il faut, ni plus ni moins qu’il ne faut. Cela suppose que l’orateur, avant de songer à ce qu’il va dire, songe à ses auditeurs et à leur confort. S’il y est attentif, non seulement il sait toujours quand parler et quand se taire, mais en plus quels mots et quels tons employer pour s’en faire bien entendre.
Aucun orateur ne trouve sa puissance dans son génie personnel. Il ne la trouve que dans la présence de celles et ceux qui l’écoutent. Encore faut-il qu’il leur offre la première place dans ses discours.
Stéphane André