Lorsqu’ils sont contraints de vivre ensemble, les humains, comme la plupart des espèces animales, ont un instinct de survie collectif. Les mécanismes les plus connus par lesquels on le remarque sont deux. Le plus instinctif est celui du bouc émissaire, le plus raisonné est celui du droit. Dans le premier, ils se choisissent un bouc émissaire pour éviter de se taper les uns sur les autres. Ils préservent ainsi la cohésion du groupe (phénomène étudié en profondeur par l’anthropologue René Girard). Dans le second, ils construisent et font évoluer en se concertant des organisations (États, associations, entreprises, écoles, tribunaux, etc.). Chacun y trouve sa place et communique avec les autres selon des règles de droit convenues. Bien sûr ce second mécanisme, plus raisonné, est le plus raisonnable. Il leur permet de concevoir puis de réaliser des projets collectifs.
Améliorer la relation de chaque individu avec sa fonction en entreprise
Toutes ces organisations sont représentables sur papier sous la forme d’organigrammes. Quant au climat qui y règne et à la qualité de ce qu’elles produisent, bref, quant à leur vie réelle, elle paraît dépendre au premier abord de la qualité des relations entre les individus qui y travaillent. Dans l’entreprise, ce sont les relations entre managers et collaborateurs, entre dirigeants et représentants du personnel, mais aussi entre collaborateurs. Depuis maintenant presque un siècle, les sciences humaines se sont intéressées à ces relations. Elles ont naturellement conçu des stages de formation, notamment au management et à la négociation, pour que ces relations soient apaisées et productives. Mais les tensions et autres conflits larvés ou manifestes qui subsistent toujours dans l’entreprise. Il faut donc chercher ailleurs. La question à se poser ne serait pas seulement la qualité de la relation entre les individus dans l’entreprise, mais aussi la qualité de la relation de chaque individu à sa fonction dans l’entreprise.
Incarner sa fonction en entreprise comme un comédien au théâtre
Un organigramme d’entreprise sur le papier a déjà le mérite d’exister. Et même s’il doit évoluer pour répondre aux nécessités du changement, ce sera toujours à partir de l’organigramme existant, selon le même principe qui fait que l’architecte est toujours obligé de réaliser d’un plan de l’existant, pour pouvoir construire à partir de lui le projet de rénovation d’un bâtiment. Par conséquent, même pour permettre le changement sans risque d’échec, il convient que chaque titulaire d’une fonction dans l’entreprise l’incarne parfaitement dans toutes les paroles qu’il échange avec les titulaires des autres fonctions. Exactement comme chaque comédien doit incarner parfaitement son rôle pour que la représentation de théâtre soit couronnée de succès. En toute logique, l’Art Oratoire devrait donc devenir aux membres d’une entreprise ce que l’Art Dramatique est aux comédiens en représentation. Il devrait donc être enseigné purement et simplement aux sciences humaines dans toutes nos organisations.
Comprendre l’importance des relations humaines
Le succès relatif des sciences humaines a principalement deux causes. D’une part, elles ont fait l’impasse sur le corps des hommes et des femmes parlant au titre de leurs fonctions. Comment en effet incarner une fonction, aussi parfaitement qu’on incarne un rôle au théâtre, sans un engagement total du corps ? Seul l’Art Oratoire y conduit. D’autre part, elles se sont centrées sur les comportements des individus (écoute active, reformulation, assertivité, empathie, synchronisation, etc.), et non sur la compréhension de la logique de pensée afférente à leur fonction, comme les comédiens travaillent à saisir la logique de pensée de leur personnage pour ensuite l’incarner avec justesse. Au théâtre, la psychologie, la sociologie et la psychosociologie n’ont pas leur place. Seules comptent la logique de pensée de chaque personnage et la situation qui lui est faite dans l’organisation qu’est la pièce de théâtre. Il devrait en être de même dans l’organisation qu’est l’entreprise.
Mon passage par le théâtre m’a beaucoup appris sur ce que devrait être le fonctionnement d’une entreprise et a inspiré tout mon enseignement à l’École de l’Art Oratoire.
Stéphane André