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Art Oratoire : comment bien utiliser son regard ?

En s’appuyant sur les écrits de Cicéron, un grand orateur de l’antiquité, ainsi que sur notre expérience d’enseignement en Art Oratoire, nous vous donnons notre point de vue et nos conseils pour bien utiliser son regard, lorsqu’on est face à un public. 

Le regard en Art Oratoire selon Cicéron

En 2004, la revue L’information littéraire publiait un article de Fernand Delarue, essayiste français, intitulé « Cicéron et l’invention du regard ». Il y écrivait notamment : « Dans le domaine de l’Art Oratoire, il semble que l’identification de l’acteur et de l’orateur a comme sclérosé la théorie, en rendant les Grecs aveugles sur le rôle des yeux ». Il note qu’au contraire, après les Grecs, le Romain Cicéron, dans son De Oratore, différencie l’orateur de l’acteur : « Les orateurs, qui traduisent directement des sentiments vrais, ont abandonné toute cette partie de l’art, dont se sont emparés les comédiens, qui, eux, imitent ces sentiments ». C’est pourquoi, par opposition au comédien qui, chez les Grecs, portait un masque (persona), il accorde à l’orateur un visage, capable par la physionomie d’exprimer un sentiment (vultus). Mais il précise que dans cette physionomie, « c’est le regard qui, concentré ou détendu, agressif ou aimable, peut traduire tous les mouvements de l’âme dans un juste rapport avec le ton du discours ». Nous lui devons depuis cet adage : « Le regard est le miroir de l’âme. »

Une technique pour regarder le public

Cicéron, dans ses écrits, ne propose évidemment pas une technique du regard. Mais son grand mérite est de nous avoir permis de l’envisager. Le rôle d’écoles telles que la nôtre est de découvrir cette technique et de l’enseigner à nos élèves. Une phrase de Fernand Delarue résonne particulièrement avec notre enseignement sur ce sujet. Il écrit de l’orateur : « C’est son regard qui le met en contact direct avec l’ensemble de l’univers. Mouvement vers le monde [de l’auditeur], mais mouvement aussi [c’est-à-dire en même temps] vers l’intériorité [de l’orateur] ».

On ne peut se borner en effet à l’idée rebattue que le regard permet à l’orateur de « se connecter » avec son public. L’élève orateur a besoin de plus d’explications pour assurer correctement cette connexion. Il doit comprendre pourquoi et comment structurer techniquement ce double mouvement du regard.

Le regard de l’orateur n’est un « mouvement vers le monde » que s’il est généré par une intention. Elle pourrait aussi s’appeler un sentiment décidé, car, si dans la vie privée nos sentiments s’imposent à nous, dans la vie publique au contraire il nous faut les décider. L’intention doit être d’intérêt décidé pour l’auditeur. Elle conduit l’orateur à s’intéresser continument du regard à son ou ses auditeurs (dans ce cas aléatoirement et successivement choisis), autant quand il leur parle que quand il se tait.

Le regard pour créer un lien fort avec le public

Quant au mouvement simultané du regard de l’orateur « vers [son] intériorité », c’est un mouvement, non pas du, mais dans son regard qui questionne le regard de l’auditeur. L’orateur invite ainsi la pensée de l’auditeur, quelle qu’elle soit, à entrer dans sa propre pensée. Il dit à l’auditeur : « Entrez comme vous êtes ». Cela crée dans le regard de l’orateur un flux entrant d’énergie, qui l’allume comme le ferait un courant électrique dans une ampoule. Aucun auditeur ne résiste à cette invitation qui ne juge pas. C’est ainsi que l’orateur peut adapter intuitivement son discours à l’état toujours changeant de son ou de ses auditeurs, pour s’en faire entendre sans les heurter. Car il ne faut jamais oublier que derrière chaque regard se trouve un cerveau.

Tant de choses se passent dans le regard d’un orateur qui s’intéresse authentiquement et sans relâche à ses auditeurs, qu’il est bien le miroir de son âme. C’est ainsi que par leur regards l’âme de l’orateur s’accorde à celle des auditeurs.

 

Stéphane André