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Premier déplacement d’Amélie Oudéa-Castéra : un discours coupé du public

En Art Oratoire, une faute de texte est toujours précédée d’une faute de corps. On pourrait discuter longtemps sur ce qu’est une faute de texte. Prenons l’exemple simple du « Euh… ! » ou du tic verbal. Ils font bien partie du texte de l’orateur, et ce sont bien des fautes puisqu’ils parasitent l’écoute du public et souvent l’agace. Par extension la faute de texte est aussi le mot ou l’argument mal venu de l’orateur qui braque son public. Quant à la faute de corps de l’orateur, que l’on pourrait aussi appeler une faute technique et qui toujours précède sa faute de texte, elle est plus difficile à percevoir. D’abord parce qu’elle est souvent discrète. Ensuite quand elle ne l’est pas, on ne la sent pas comme une faute parce qu’elle est si commune qu’elle semble parfaitement normale. C’est la rupture du regard de l’orateur quittant des yeux son public pour regarder dans le vide.

Quand un orateur émaille son exposé de « Euh… ! », il n’en a pas conscience. Si c’est un de nos élèves, nous évitons de lui faire remarquer. En revanche nous pointons ses ruptures de regard qui les précèdent. Par des exercices nous l’aidons à garder constamment un regard d’intérêt sur son public, même quand il est incertain de la suite de son texte. Fort de ce nouveau savoir-faire, l’élève reprend son exposé. Toujours sans qu’il en ait conscience, donc sans qu’il cherche à les supprimer, ses « Euh… ! » disparaissent. Sa faute de corps était donc bien à l’origine de sa faute de texte. Et là encore sans qu’il l’ait cherché, son second texte est mieux construit, plus pertinent et même passionnant pour son public. Exit les fautes de texte. Son cerveau a mieux fonctionné.

 

Venons-en aux retentissantes fautes de texte d’Amélie Oudéa Castéra, le 15 janvier dernier, lors de son premier déplacement en tant que Ministre de l’Education Nationale. Non pour nous moquer (elle fut simplement victime des lacunes phénoménales de la culture française de l’oral), mais pour faire œuvre de pédagogie. Voûtée, la tête tombant vers le sol, elle ânonna ce discours d’un ton confidentiel et sur un rythme hésitant (les parties prononcées le regard dans le vide sont en italique, les parties adressées au public sont en caractères gras) :

« Je vais vous raconter, euh… brièvement cette histoirecelle de notre aîné VincentVincent qui a commencé, euh… comme sa maman à l’école publiqueet puis la frustration de ses parents, de mon mari et moi qui avons vu, euh… des paquets d’heures qui n’étaient paseuh… sérieusement remplacées et à un moment on en a eu marre ».

En rupture de regard, elle prononce des mots sans importance. Ils lui permettent de penser à ceux qu’elle va dire et qui, au contraire, auront de l’importance. Elle y réfléchit coupée du public, donc coupée du contexte et ils vont mal tomber. Ce furent ses fautes de texte. Si elle s’était intéressée du regard à son public dès le début de sa prise de parole, son cerveau lui aurait supprimé ses « Euh… ». Et surtout, il lui aurait intuitivement dicté d’autres mots, peut-être même une autre histoire.

Le bon orateur écoute son public avec ses yeux, son activité cérébrale en devient animale. Il ne pense plus, il sent. L’animal agit d’instinct, c’est ainsi qu’il évite le danger. Encore faut-il que ses sens soient en éveil sur le danger. Nous avons appris à réfléchir avant de parler, plutôt qu’à regarder avant de parler.

Stéphane André