Dans le n° 66 de la revue Constructif, le sociologue des organisations Jean-François Dupuy titrait son article « La faillite de la pensée managériale ». Une phrase résume sa pensée. « Le management est féru de préconceptions morales ou intellectuelles qui constituent autant de jugements sur les comportements [des managers] observés. C’est bien ou c’est mal, c’est juste ou infondé. Or la notion d’intelligence de l’acteur évacue tout jugement sur les individus et ce qu’ils font, ce qui ne veut pas dire qu’elle conduit à l’acceptation de ce qu’ils produisent. »
Etre acteur dans l’entreprise grâce à l’Art Oratoire
Quelle que soit sa place dans l’organisation, seul celui qui y est acteur est dans le contexte. Son intelligence seule peut donc en saisir la complexité. C’est pourquoi Jean-François Dupuy tape juste quand il en appelle à la seule « intelligence de l’acteur » pour faire réussir une organisation. Toute injonction morale ou intellectuelle venue de l’extérieur « décontextualise » l’acteur, par conséquent ne peut que le troubler et par là, troubler le fonctionnement de l’organisation. Ce qui conduit naturellement le sociologue à définir une organisation comme « l’ensemble des stratégies des différents acteurs et la façon dont elles s’articulent entre elles ». Cette définition est révolutionnaire.
C’est à l’articulation entre les stratégies des acteurs que s’intéresse l’Art oratoire. Voilà que tout d’un coup l’organisation prend une existence humaine. C’est un système vivant de chair et d’os. Sa chair est faite des acteurs qui lui donnent corps, et sa vie de leurs intelligences qui communiquent entre elles. Et parmi ces intelligences, celle du manager en charge des autres acteurs est primordiale. Un peu comme l’intelligence de l’acteur en charge du premier rôle d’une pièce de théâtre est primordiale pour le succès de la représentation. D’où la légitimité des recherches sur la théorie et la pratique du management.
Un bon manager doit être un bon orateur
L’Art Oratoire du manager sera toujours le seul moyen pour lui de connecter son intelligence à celle de ses collaborateurs pendant qu’il leur parle. Il fera de son discours une création et un vécu collectifs. Il faut pour cela qu’il regarde constamment ses collaborateurs, pour piloter à vue son discours sur la résistance qu’ils lui proposent par leurs attitudes physiques. Son intelligence ainsi reliée à leurs intelligences sait alors lui calculer instinctivement les mots, le ton et le rythme des paroles qui leur conviennent pour le comprendre. Voilà pour la création collective. Ensuite, le manager, tout en parlant, doit écouter sa voix, pour la conserver toujours belle. De sorte que sa musique fasse ainsi entendre et vivre à leurs intelligences la manière dont lui ressent, donc comprend, ce qu’il leur dit. Voilà pour l’expérience collective.
La proximité entre la pensée de Jean-François Dupuy et celle de notre école est manifeste quand il choisit de parler de « l’intelligence de l’acteur ». A priori, pour lui comme pour nous, le théâtre est par excellence le lieu où la parole doit impérativement être une expérience collective réussie. Or c’est un lieu où l’écoute physique du contexte, bien plus qu’une écoute morale ou intellectuelle, est reine.
L’Art Oratoire permet l’écoute physique dans l’entreprise, comme l’Art dramatique la permet dans les théâtres. Il est pour notre école indispensable à la pratique du management.