Essaie-t-on encore de convaincre ?
Un matin du mois dernier, le débat à propos des soignants qui refusent de se faire vacciner eut lieu sur toutes les chaînes d’information en même temps. Les mêmes arguments s’entendaient partout. Soit on voulait « responsabiliser » les soignants en mettant en avant des décès de patients ayant contracté la covid à l’hôpital. Soit on soutenait que si l’on rendait le vaccin obligatoire pour les soignants, on devrait renvoyer chez eux ceux qui refuseraient de se faire vacciner. On ne pourrait plus alors assurer le fonctionnement des services. Le Professeur Philippe Juvin de l’hôpital Georges Pompidou était de ceux-là. Il n’envisageait pas de tenter de convaincre ses soignants.
Passant d’une chaîne à l’autre, sur LCI je vis l’extrait d’une prise parole du Professeur Gilbert Deray de l’hôpital de La Pitié Salpêtrière. Il s’était exposé aux résistances de ses soignants. Elles allaient du doute sur l’efficacité du vaccin Astra Zénéca, au soupçon de puces informatiques introduites dans les doses de vaccin par Microsoft. Il leur avait exposé son point de vue et les avait convaincus. Il disait : « Ça a marché ». De la trentaine de débatteurs que j’ai entendu ce matin-là, il fut le seul à évoquer cette solution. Il fut donc le seul à mériter le beau titre d’orateur.
L’entreprise de santé qu’est l’hôpital reflète-t-elle ce qui se passe dans l’entreprise en général ? Les orateurs y seraient devenus si rares, qu’on ne dirigerait plus les équipes que par la contrainte (à l’hôpital, rendre le vaccin obligatoire pour les soignants) ou la culpabilisation (à l’hôpital, rendre les soignants résistants au vaccin responsables de la contamination des patients).
On renoncerait le plus souvent à convaincre. On s’imposerait et l’on imposerait plutôt que s’exposer et exposer. Et, à l’exemple de Philippe Juvin, quand le rapport de force risque d’être défavorable on se tairait en attendant des jours meilleurs. A part le cas très rare d’une équipe dirigée par un Gilbert Deray (qu’il faudrait regarder comme un dinosaure), est-ce vraiment ce qui se passe aujourd’hui dans l’entreprise ? La question mérite d’être posée.
J’ai lu chez un auteur latin, que pour convaincre son patient de se faire opérer, le médecin devait se faire accompagner d’un orateur (on imagine ce que devait être la chirurgie à l’époque). Aujourd’hui, le manager n’a pas les moyens de se faire accompagner d’un orateur, il doit lui-même en être. C’est encore plus vrai avec les relations digitales imposées par la crise sanitaire, qui éloignent les collaborateurs hors de portée d’un contact physique. Ils sont d’autant plus difficiles à concerner et par conséquent à convaincre. L’effet pervers du digital est de faire penser qu’il rapproche. Il pourrait donc entraîner la disparition complète des derniers orateurs. Il est urgent de les déclarer espèce protégée. Ils pourraient peut-être alors se multiplier.
Que serait un monde où plus personne ne convaincrait ? Un immense congrès de solitudes.
Stéphane André