Sous le titre « Marie-Claire Carrère-Gée, casque bleu de Michel Barnier », le journal Le Parisien Aujourd’hui en France du 19 octobre présente un personnage qui apparaît pour la première fois dans un gouvernement de la Ve République. C’est la Ministre de la Coordination Gouvernementale. Son rôle est de « s’assurer que la quarantaine de ministres, issus d’horizons différents, se coulent avec la plus grande fluidité dans le moule politique dessiné par Michel Barnier », et d’« être la cheffe de projet des « grands chantiers interministériels » souhaités par [Michel] Barnier ».
Le ministère de la Coordination gouvernementale : une fonction inédite dans la Ve République
Dans n’importe quelle organisation une équipe fonctionne avec un dirigeant qui lui fixe les objectifs, anime et coordonne son travail pour qu’elle les atteigne. Dans tous les gouvernements de la Ve jusqu’à ce dernier, le Premier ministre tenait ce rôle. Il semble que Michel Barnier s’en soit déchargé. C’est en effet un rôle de leader par la parole et lui n’en montre ni la stature physique, ni surtout la voix, et encore moins l’aisance gestuelle.
Encore ces trois registres ne constituent-ils que les signes extérieurs de l’éloquence du leader. Il en faut plus que cela à n’importe quel public, pour se passionner comme un seul homme pour un discours. Le cœur de l’éloquence du leader est ailleurs, dans sa hauteur de pensée. Elle réalise la cohésion autour d’elle de publics aussi divers que la quarantaine de ministres qui constituent le gouvernement de Michel Barnier, ou que la mosaïque de partis du bloc central censé le soutenir à l’Assemblée nationale.
Leadership politique : l’importance de l’éloquence
Mais comment le leader accède-t-il à cette hauteur de pensée ? C’est ce qui n’est en général pas compris dans notre culture, où l’on range les signes extérieurs de l’éloquence du côté de la forme, et la pensée de l’orateur du côté fond. L’orateur leader concevrait tout seul à sa table un projet génial avant son discours et l’habillerait ensuite devant son public des signes extérieurs de l’éloquence. D’où l’idée erronée que le seul discours efficace est un discours préparé.
À l’interface entre le cerveau du leader et les signes extérieurs de son éloquence, pendant son action face au public, se trouve le regard du leader sur son public. Car, avant de passionner son public, le leader se passionne d’abord pour lui. Il le prend dans son regard pour en saisir toutes les attentes, avant de lui parler, en lui parlant et après lui avoir parlé. Son cerveau s’imprègne ainsi de toutes ses composantes, aussi diverses, soient-elles. Elles lui inspirent le projet qui les concernera toutes et l’éloquence capable de les entraîner dans sa réalisation. Il peut même, s’il prépare son discours, dans une pièce vide imaginer son public tel qu’il le connaît, le regarder comme s’il était là et se lancer dans l’action. Ou simplement s’imaginer le faire. Alors sa pensée s’élève et devient passionnante. S’il prépare son discours, c’est ainsi qu’il doit le préparer. Dans l’action, c’est-à-dire dans la relation, et non pas dans la réflexion.
Michel Barnier : pas de leadership sans éloquence
Michel Barnier ne se passionne pas pour son public. Son regard fuyant dans ses discours pour chercher ses mots le montre bien. Il peine donc à trouver puis à formuler le projet capable de faire l’unité de son gouvernement et du bloc central au parlement. C’est pourquoi il a inventé le poste de Ministre de la Coordination Gouvernementale. Il est à craindre que ce truchement ne comble pas le vide laissé par son absence de leadership.
Le 27 octobre, un autre article du Parisien Aujourd’hui en France sur Michel Barnier le cite en titre : « Je sais que le pouvoir enferme ». Bien au contraire, le pouvoir expose.
Stéphane André