Faites des silences, la parole est d’argent le silence est d’or, le silence qui suit la musique est encore de la musique, etc. L’auditeur d’un discours en effet a besoin des silences. Ceux des grands orateurs le fascinent, sans qu’il sache vraiment pourquoi. Mais rares sont hélas aujourd’hui les grands orateurs.
Prenons l’exemple du silence qui suit la musique et qui serait encore de la musique. Encore faut-il que la dernière voyelle entendue de l’orateur avant que son silence n’advienne, soit aussi de la musique.
Un exemple de prise de parole sans silences
Écoutons cette phrase qui pourrait surgir de la bouche d’un député, au fil d’un discours politique à l’Assemblée nationale : « Mais, mes chers collègues, je ne suis bien évidemment pas à cette tribune pour adresser des louanges au Premier ministre et à son gouvernement ». Pour dire la fin de cette phrase, un peu à bout de souffle et déjà préoccupé de la phrase qui suivra les derniers mots, qui croit-il, se suffisent à eux-même, il regarde dans le vide et laisse tomber sa voix. Il s’absente du présent pour partir dans le futur, abandonnant ses collègues parlementaires esseulés dans le présent. En termes techniques, il chute sa finale.
Et comme de surcroît, c’est la énième fois depuis le début de son discours, ses collègues commencent sérieusement à s’endormir. L’orateur, se disent-ils, n’est pas encore près d’en venir à l’essentiel. Et en effet, il n’y vient pas. Car pendant le silence qui suit cette finale chutée, en regardant dans le vide l’idée lui vient d’un commentaire sur la naïveté de ceux qui auraient cru qu’il allait féliciter le Premier ministre. Relevant les yeux sur son public, il la développe. En langage de journaliste, cela s’appelle un tunnel.
Le lien entre regard et silence dans les prises de parole
Imaginons maintenant que l’orateur conserve un regard allumé sur son public jusqu’au bout de sa phrase et dans le silence qui suit. Présent à son public quand il prononce « au Premier ministre et à son gouvernement », il fait l’effort de soutenir sa voix jusqu’au bout du souffle. Vibrant de cet effort, elle émeut le public comme toujours sensible au souci de l’orateur de bien le servir. Il y met aussi un léger ton d’ironie, converti dans de dernier mot en une nuance interrogative.
Puis, silencieux et parfaitement installé dans une belle posture verticale, il continue de regarder son public. Alliés et adversaires du député sentent qu’il va en venir à l’essentiel. Même ceux qui en supposent la teneur se demandent comment il va l’exprimer. De gauche, de droite ou du centre, les cinq cents et quelques députés présents dans l’hémicycle, sont d’abord à cet instant, un public. Un public attentif, car l’orateur qui le regarde maintenant le prend pour partenaire. Ses cerveaux dansent avec celui de l’orateur qui conduit la danse. Tous se préparent donc à le suivre dans ce qu’il va dire maintenant. Et leur attente de l’essentiel soudain palpable dans la tension de ce silence, suscite soudain chez l’orateur l’idée de la satisfaire maintenant. Ce silence de l’orateur est bien encore de la musique. La suite sera superbe.
Partout où ils prennent la parole, selon que les orateurs tiennent ou chutent leurs finales, l’histoire avance ou fait du surplace.
Stéphane André