Début septembre sur France Culture, l’émission Avec philosophie fut consacrée à la notion grecque du kairos. Au fil des siècles dans l’antiquité, les philosophes en eurent différentes conceptions, mais toutes contenaient l’idée de l’à-propos.
Définition du kairos
On pourrait définir le kairos en 3 points : sentir le bon moment pour agir (conception temporelle), atteindre parfaitement sa cible (conception spatiale), mais aussi toucher la sensibilité du public (conception artistique).
C’est Napoléon à Austerlitz lançant pile au bon moment l’attaque qui lui donnera la victoire, le tireur à l’arc qui touche pile le cœur de sa cible, et le peintre qui, regardant un visage, en saisit sur sa toile l’expression qui arrêtera pile les visiteurs devant son tableau.
Le kairos se relie toujours au présent et caractérise l’action pertinente. Une phrase me revient de cette émission : « Il appartient au sage de bien viser ». Dans le bref instant où ils visent bien, et seulement dans cet instant, Napoléon, le tireur à l’arc et le peintre sont des sages. C’est aussi le cas du bon orateur.
Le kairos : but ultime de l’orateur
Observons-le depuis son entrée en scène jusqu’à ses premiers mots. Il commence par regarder sa cible avec intérêt, son vis-à-vis dans un entretien ou son public pour un discours, pour se positionner par rapport à elle. En la regardant, comme le tireur à l’arc, il sent son dos se redresser, ses appuis se prendre au sol et sa tête pousser vers le ciel.
Alors, vertical, serein et ferme dans ses appuis, en équilibre et déjà dans l’action, c’est un sage. Comme le tireur à l’arc il attend le bon moment…, lui vient à l’esprit le propos propre à toucher son public…, il le décoche de sa plus belle voix pour être sûr de toucher sa cible au cœur. Il produit ainsi une saisissante œuvre d’Art (Oratoire).
Touché, le public s’arrête sur elle, la regarde et l’écoute. L’orateur vient de produire les premiers mots de son discours. Dans le silence qui suit, son regard continue de viser sa cible avec intérêt et son corps reste en équilibre. Le public touché par les premiers mots du discours change d’état, faisant une cible nouvelle… l’orateur la visant toujours attend le bon moment… lui vient à l’esprit le propos suivant propre à toucher sa nouvelle cible … et pour être sûr de la toucher au cœur, il le décoche encore de sa plus belle voix. Et ainsi de suite jusqu’à la fin du discours. C’est ainsi que la sagesse, par le kairos, conduit à l’éloquence.
Le kairos : être dans l’action et dans l’instant présent
En définissant le kairos comme consubstantiels à (inséparable de) l’action, les philosophes de l’antiquité contribuent merveilleusement à l’enseignement de notre École. L’action de l’orateur commence seulement quand il entre en scène et ne se termine que quand il en sort. Il ne peut viser le kairos qu’à ce moment-là. Qu’il n’espère pas y parvenir en préparant son discours avant l’action. Et s’il le prépare, qu’il se dise qu’au moment d’entrer en scène, tout sera à refaire.
Stéphane André