Dans la matinale du 25 octobre animée par Léa Salamé et Nicolas Demorand à France Inter, un débat eut lieu entre l’écrivain Éric Neuhoff et la linguiste Julie Neveux. Le sujet en était l’ouverture le 30 octobre de la Cité internationale de la langue française au château de Villers-Cotterêts. La linguiste s’en réjouissait, l’écrivain s’en moquait. Il fût bien sûr question dans leur débat des complexités de notre langue. L’écrivain souhaitait leur conservation et la linguiste en acceptait l’évolution. On aborda l’inévitable accord du participe passé, quand le complément d’objet direct est placé avant l’auxiliaire avoir. « Les décisions que j’ai prises et non pas que j’ai pris… ». Allons-nous vers sa suppression ? Avec une sympathique franchise, Léa Salamé avoua qu’elle ne faisait pas souvent l’accord, et que les auditeurs le lui reprochaient parfois. Que se passe-t-il chez la journaliste quand elle n’applique pas cette règle en parlant à l’antenne, alors qu’elle la connaît parfaitement ?
Nous avons un jour prié le professeur d’anglais qui nous coache dans la pratique de sa langue, d’assister à un séminaire de formation à l’Art Oratoire. Nos élèves devaient exposer en anglais, comme ils devaient le faire devant leurs patrons américains. Il fut stupéfait de constater qu’au fil de nos exercices d’Art Oratoire, plus nos élèves s’équilibraient physiquement et vocalement dans l’action, moins ils commettaient de fautes d’anglais.
Cet exemple fournit la réponse à notre question : chez Léa Salamé comme chez tout le monde, le non-respect d’une règle de notre langue française est le plus souvent l’effet d’un déséquilibre physique et vocal dans l’action. Comme le professeur nous l’a traduit après ce séminaire : “you cannot get a well balanced mind in a badly balanced body” (1). C’est une phrase très amusante à prononcer, donc facile à retenir.
Ce qu’on appelle aujourd’hui l’évolution de notre langue n’est sans doute que son déclin progressif, conséquence de la disparition progressive de l’Art Oratoire dans notre monde moderne. Nos lecteurs réguliers connaissent cet adage : l’oral fait l’histoire, l’écrit l’entérine. Dans notre culture, où les corps des orateurs tantôt se contractent tantôt s’affaissent, l’oral abîme notre langue et l’écrit l’entérine. Et puisqu’on pense dans sa langue, cela risque à terme d’entraîner un appauvrissement de la pensée, ce qui donnerait raison à l’écrivain.
(1°) Vous ne pouvez avoir un esprit en équilibre dans un corps en déséquilibre.
Stéphane André