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Juger de l’Art Oratoire sans dire de bêtises

Qui enseigne l’Art Oratoire se voit condamné à répondre tout au long de son enseignement à la question de l’honnêteté de cet art. Bien que de nombreux traités de rhétorique aient été rédigés depuis l’Antiquité gréco-romaine jusqu’à nos jours, rares sont ceux qui se sont réellement attachés à comprendre ce qui compose l’éloquence. Cette ignorance conduit à soupçonner l’Art Oratoire de surtout servir à manipuler les foules. Elle conduit aussi à mettre dans le même panier les deux orateurs que sont de Gaulle et Hitler. Nous avons déjà entendu des formateurs à la parole en public estimer qu’Hitler était aussi un grand orateur.

Nous ne croyons pas au charisme

Un terme en isme permet de maquiller cette bêtise en lui donnant une apparence de sérieux. L’impact des grands orateurs sur leurs publics serait tout bonnement l’effet de leur charisme. Le dictionnaire Robert le définit comme « [la] qualité d’une personnalité qui a le don de plaire, de s’imposer, dans la vie publique ». D’où lui vient cette qualité ? On ne le sait pas. Le Robert précise même que dans le registre de la théologie le charisme serait « un don conféré par la grâce divine ». Le mystère s’épaissit, la méfiance à l’égard des grands orateurs augmente d’autant. Car même touché par la grâce divine, un homme reste un homme avec sa nature et ses projets d’être humain. Comment alors des peuples entiers en arrivent-t-ils à remettre leur destin aux mains d’un simple humain dépositaire d’un don divin, autrement dit d’une sorte de sorcier ? L’Art Oratoire décidément, ne saurait être un art honnête. Qui le possède ne s’en sert bien sûr que pour assouvir ses rêves de domination.

Devenir éloquent grâce au travail, c’est possible

Ces soupçons sur l’Art Oratoire empêchent de le considérer comme un art. On n’imagine donc pas que sa pratique puisse prendre appui sur une technique maîtrisable par le travail. Et l’on imagine encore moins que cette pratique, comme on l’attend normalement d’un art, puisse produire de la beauté tant dans le discours que dans les rapports humains qu’ils engendrent.

L’Art Oratoire au coeur de la vie sociale

Platon portait sur l’Art Oratoire un tout autre regard. Dans l’introduction de son Éthique à Nicomaque, il écrit que « la connaissance du bien suprême [est] l’œuvre de la politique », qu’il qualifie ensuite de « discipline la plus souveraine et la plus éminemment maîtresse » de la vie de la cité. Il ajoute plus loin que « même les plus honorables des capacités lui sont subordonnées [à la politique], comme la conduite des armées, l’économie, l’art oratoire ». Est honorable qui est d’abord honnête. L’Art Oratoire avait, avec Platon, sa place dans la vie de la cité, pour le bien des humains qui y vivaient et y travaillaient.

A-t-il encore sa place dans la nôtre. Et s’il ne l’a plus, que penser de notre avenir ?

Travailler la qualité d’expression

Nos observations de la pratique des orateurs politiques, doublées des expérimentations conduites sur nos élèves et sur nous-mêmes depuis des années, nous ont conduit à faire la différence entre la qualité d’expression d’un de Gaulle et celle d’un Hitler. Le charisme du premier n’était pas criant, celui du second était énorme. La pratique de l’Art Oratoire du premier était exemplaire, celle du second était exécrable, sa voix hurlée n’en fut pas la moindre preuve. Outre le fait que le charisme ne s’enseigne pas, nous préférons de toute façon enseigner l’Art Oratoire.

Il n’existe malheureusement pas de vidéo des discours de César, de Robespierre, de Danton, de Napoléon, de Bossuet ou de Mirabeau. Elles nous seraient pourtant très utiles pour analyser leur pratique de la parole publique. Dans le doute, il vaut mieux éviter de les mettre tous dans le même panier. Cela évitera de dire des bêtises sur l’Art Oratoire.

Stéphane André