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L’éloquence : les définitions des avocats

Que ce soit Cicéron (avocat et homme politique romain (-106) à (– 43)), Pierre-Antoine Berryer (avocat et homme politique français, 1790-1868) ou Jean-Denis Bredin (Avocat et académicien, 1929 à nos jours), les avocats se sont, de tout temps, passionnés pour l’art de s’exprimer avec aisance, l’art de bien parler : en un mot, l’éloquence.

« L’éloquence est aussi ancienne que le monde – Berryer tient un langage universel – L’existence du monde et l’existence de l’homme ont dû être deux faits à peu près simultanés. » Dès que l’homme paraît, les germes de l’éloquence sont déposés dans son cœur pour en jaillir au premier choc de sensibilité. Nature, homme, intelligence, parole, voilà quatre principes enchainés l’un à l’autre par les liens de la plus étroite nécessité. La nature existe, l’homme existe, et avec lui la parole conçue dans sa plus large acception, parole de la voix, du regard, du geste et qui sera éloquente suivant les modes de sa manifestation ».

Nos trois éminents avocats, théoriciens et praticiens de la parole, ont cherché à définir l’équipement nécessaire pour devenir un bon orateur.

Cicéron énonce les questions à traiter en matière de discours.L’inventio (rassembler le matériau du discours) précède la dispositio, (organiser les éléments recueillis) pour arriver, après être passé par la memoria, (mémoriser le discours), à l’elocutio (parler comme il faut) et ,surtout, l’actio oratoire (la voix).

Des siècles plus tard, Jean-Denis Bredin rappelle certains principes de base de l’Art Oratoire : « Séduire, démontrer, émouvoir ».Cependant,il précise que«Ces règles n’ont pas été enseignées comme des règles pour apprendre l’éloquence, mais les Anciens les ont repérées à partir de textes éloquents, pour dégager un certain nombre de constances dans l’art de persuader, dans l’art d’émouvoir, dans l’art de plaire ». C’est juste : « La rhétorique est nait de l’éloquence – disait Cicéron – et non l’inverse ».

On retrouve également ces éléments chez Berryer. Mais l’avocat de Châteaubriant ne s’arrête pas là. Il va plus loin. Le puissant orateur s’attache à décrire le processus au cœur de l’éloquence. Il l’examine à l’endoscope : « … qu’une occasion survienne, et l’éloquence, sortant tout à coup du cœur humain comme d’une source ignorée, s’élancera avec la vitesse de l’éclair, avec la commotion de l’électricité jusqu’au fond de l’âme des autres hommes ». S’il le rapporte ainsi c’est qu’il l’a ressenti. Il l’a expérimenté. Il l’a renouvelé. Cela lui permet d’en déduire que : « L’éloquence n’est plus seulement une inspiration, c’est un art ».

« Comme d’une source ignorée », Berryer décrit, sans le nommer, d’un des aspects les plus fondamentaux de l’art oratoire : l’art de mettre la pensée en action. Les clés pour y parvenir ? Il les a déjà mentionnées plus haut : « nature », « homme », « regard » et « voix ».

À l’École de l’Art Oratoire nous pensons, comme Berryer : « qu’une occasion survienne » et, lorsque le regard et le corps sont en place, c’est l’intuition pertinente qui produit le discours. L’éloquence, dit encore Berryer, est «trop peu éloignée de l’enfance pour en avoir perdu les qualités dominantes ».

C’est sans doute pour sa clairvoyance sur l’art oratoire que, aujourd’hui encore, l’avocat illustre est célébré chaque mois à la Cour d’appel de Paris à l’occasion d ‘un concours d’éloquence qui porte son nom : la Conférence Berryer.

Stéphane André