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Premiers discours de Michel Barnier : décryptage

Le 5 septembre eut lieu la passation de pouvoir de l’ancien Premier ministre Gabriel Attal au nouveau. Intéressons-nous au discours de Michel Barnier. Ensuite, le lendemain 6 septembre Michel Barnier fût l’invité d’Anne Claire Coudray au Journal de 20 heures de TF1. Décryptage de ces deux prises de parole.

Discours de Michel Barnier lors de la passation de pouvoir


Dans la cour de l’Hôtel Matignon, Michel Barnier soit regarde au-dessus de la foule pour tenir son discours, soit plonge son regard dans ses notes pour prendre le temps de réfléchir en silence à ce qu’il va dire. Bien sûr, il sait qu’il a du monde devant lui mais il ne le regarde pas, il l’imagine. Nous le suivons ainsi dans ses pérégrinations intellectuelles sans le déranger le moins du monde. Même son « Mesdames et Messieurs », qui surgit parfois dans le discours est prononcé l’œil dans le vague. C’est le « Messieurs et chers administrés » du Sous-préfet aux champs d’Alphonse Daudet, cherchant l’inspiration de son discours dans le petit-bois de chênes verts.

Le plus frappant chez cet orateur est sa totale tranquillité devant la foule. Les défauts d’expression ont pour fonction chez l’orateur de traiter son trac. Or chez Michel Barnier ils abondent. Il a le dos mou, le regard ailleurs, ses mains croisées sur le ventre qui s’envolent parfois pour soutenir quelques mots, ou assurer une chorégraphie sophistiquée pour chausser puis retirer ses lunettes, des petits « euh » très discrets donnant à ses hésitations l’allure de ce que les Anglais appellent « oxfordian stuttering » ou bégaiement oxfordien, et une voix heureusement relayée par le micro, aussi confidentielle que pour une conversation intime. Le tout lui fait une expression très affectée, à laquelle il semble très rôdé. Il s’est constitué au fil du temps une forteresse de défauts bien combinés entre eux, dans laquelle il se sent en totale sécurité donc exempt de trac. D’où cette incroyable tranquillité.

Interview de Michel Barnier au Journal de 20 heures


Plus intéressant encore est son interview du lendemain sur le plateau du journal de Tf1. À part le ballet des lunettes, les défauts sont les mêmes. Bien sûr il regarde la journaliste, il n’a qu’elle devant lui. Mais il ne la regarde que pour lui dire les mots qu’il vient de trouver en regardant dans le vide, c’est-à-dire en lui-même. Et aussitôt après les avoir prononcés il y retourne pour chercher les suivants. Mais surtout, il répète presque mot pour mot dans cette interview tout ce qu’il a dit la veille dans la cour de l’Hôtel Matignon, jusqu’au sujet de sa maman « chrétienne de gauche » qui l’a prévenu contre le « sectarisme ».

Un orateur qui ne trouve ses mots face au public qu’en regardant en lui, s’enferme toujours dans une pensée qui tourne en rond. Michel Barnier le Savoyard sait pourtant que c’est face à la pente que le skieur trouve ses meilleurs courbes. En Art Oratoire, regarder la pente c’est regarder le public. Il est le maître de la course du discours qui rassemble, par exemple une majorité de députés au parlement ou une majorité de citoyens dans le pays. À quelques nuances près, Michel Barnier rejoint par son expression quelque peu laborieuse deux anciens Premiers ministres, Michel Rocard et Laurent Fabius. Dans leurs divers mandats ils furent parfois bons négociateurs, mais ils ne furent pas précisément bons orateurs. Cela va-t-il manquer à Michel Barnier ?

Michel Barnier : un orateur à la hauteur de la crise politique ?


Le 19 septembre, le journaliste et chroniqueur Alain Duhamel, à l’émission C à vous sur la 5 affirmait : « La 5ème République est dans la crise la plus grave qu’elle ait jamais traversé ». En 1958 et en 1968, le génie oratoire de Charles De Gaulle, et la puissance conséquente de sa pensée, ont sorti la France d’une crise politique majeure. Si Michel Barnier sort la France de sa crise de 2024, c’est assurément qu’Alain Duhamel se sera trompé sur sa gravité.

Stéphane André