Peter Roff, éditorialiste américain conservateur, dans une récente interview accordée au journal L’Express, dit de Donald Trump : « Il a un charisme certain. Ce n’est pas le charisme de Kennedy, ni celui de Reagan. Je ne saurais vraiment le définir, mais il est là ». Peter Roff a l’intuition d’une différence entre deux « charismes », sans pouvoir la définir. La question est d’importance. Au moins Peter Roff a-t-il le mérite rare de la poser. C’est l’occasion d’exposer la réponse qu’y apporte notre École.
Laissons de côté Ronald Reagan. C’était un comédien, frère non jumeau mais frère tout de même des orateurs. Il avait donc appris la façon la plus salutaire pour notre cohésion sociale de s’adresser à son public. Et intégrons plutôt dans notre réflexion d’autres orateurs qui ne furent pas des comédiens. D’abord candidats puis Présidents, Trump, Sarkozy, Kennedy et De Gaulle montrèrent bien à la tribune ce que Peter Roff appelle du charisme. Mais les deux premiers n’ont pas usé de leur corps de la même façon que les deux autres. Là se montre d’abord leur différence. Revoyons ensemble leurs discours.
Trump et Sarkozy : le charisme des chefs
Trump et Sarkozy rassemblent leur énergie dans le haut du corps et dans la face, comme pour bloquer toute velléité de contestation qui pourrait venir de leur public. La mimique dure et figée de Trump, ses paupières rapprochées en meurtrières derrière lesquelles se cache un regard tout aussi dur, lui font comme un blindage. Sans en arriver là, le visage de Sarkozy reste constamment tendu quand il s’exprime, avec parfois un tic sur le côté de la bouche. Trump désigne du doigt des gens dans le public, danse les poings fermés sur le jingle qui accompagne son arrivée à la tribune et ponctue régulièrement ses propos d’un tic de la main droite, pouce et index collés à leurs extrémités. Sarkozy salue souvent la foule bras tendu à l’horizontale, paume à la verticale comme pour la repousser et ponctue plutôt ses propos du tranchant de la main. Aux tics d’épaules chez Sarkozy répond chez Trump le haut du dos voûté qui projette sa tête vers l’avant et lui relève par conséquent les épaules. Enfin la voix de Trump est gutturale, celle de Sarkozy sans l’être est cependant plus poussée que posée. Est-ce une peur animale de l’échange, qui leur commande cette débauche d’énergie dans la face ? Ce sont des chefs qui s’imposent et qui imposent.
Kennedy et De Gaulle : le charisme des leaders
Kennedy et De Gaulle montrent au contraire dans leurs discours une face désarmée, offerte à l’échange. Même dans les passages les plus forts de leurs discours, ils gardent un visage détendu, des épaules basses et une gestuelle souple exempte de tics. Tout dans leur face est calme et sérénité. Leur énergie passe dans leur dos et dans leur voix. Leur verticalité à la tribune est saisissante, leur voix est belle et bien placée. Ce sont des leaders qui s’exposent et qui exposent.
Le charisme au service de la politique ?
Trump et Sarkozy projettent vers leurs publics une violence qu’ils exercent d’abord sur leur propre corps. On la retrouve logiquement dans leurs propos. Quelques exemples. Trump désigne à ses électeurs des boucs émissaires, l’establishment et les immigrés. Sarkozy règle ses comptes en public avec les journalistes qui lui déplaisent et les magistrats qu’il traite de « petits-pois ». Dans leurs discours Kennedy et De Gaulle ne montrent pas de violence, mais plutôt de la puissance. Certes, ils combattent par la parole leurs adversaires, mais toujours en usant correctement de leur corps, ce qui les tient à la hauteur de leur fonction.
Nous enseignons dans notre École l’éloquence de Kennedy et De Gaulle, et mettons plutôt en garde nos élèves contre celle de Trump et de Sarkozy. Il ne faut en aucun cas y voir un message politique. Quant au charisme, il ne s’enseigne pas. Ce qui n’empêchera jamais celles et ceux qui en sont dépourvus de travailler leur éloquence pour devenir des leaders.
Stéphane André