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Bégaiement de François Bayrou : frein ou force en politique ?

Samedi 14 décembre, lendemain de la nomination de François Bayrou au poste de Premier ministre, Le Parisien rapporte le propos d’un « fin connaisseur des arcanes du pouvoir », tenu le 12 décembre veille de sa nomination : « Je pense que Macron n’arrive pas à se résoudre à nommer Bayrou, qui a du caractère ».

François Bayrou : un homme politique de caractère ?

Le « caractère » de François Bayrou s’est en effet exprimé le lendemain par un coup de gueule à l’adresse d’Emmanuel Macron, qui le recevait à 8H30 pour lui annoncer qu’il ne le nommait pas Premier ministre. Le coup de gueule a porté, puisqu’en fin de matinée le Président l’a reconvoqué au palais de l’Élysée pour lui annoncer que, finalement, il le nommait Premier ministre. On a dit partout que François Bayrou avait « tordu le bras » du Président.

Cette réflexion sur le caractère du nouveau Premier ministre fait naturellement penser au « caractère », qualité première d’un chef civil ou militaire dont parle Charles de Gaulle, dans Le fil de l’épée en 1932. Et de Gaulle précise : « L’homme de caractère confère une noblesse à l’action en cherchant la réussite plus que le gain personnel ». En 1932, le commandant de Gaulle est en mission militaire au Liban. Il n’est pas connu. Mais il prouve déjà son caractère de chef dans une conférence restée célèbre pour sa performance oratoire à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. De Gaulle n’a jamais théorisé l’idée que le caractère d’un homme ou d’une femme apte à diriger (et sauver) un État se révèle aussi dans la puissance de sa parole publique. Mais il l’a démontré par l’effet de ses propres discours sur notre Histoire. Pour nous qui observons le monde politique depuis maintenant plus de cinquante ans, cette idée ne fait aucun doute.

Discours de François Bayrou : une lutte contre son bégaiement ?

Le caractère de François Bayrou se manifeste aussi dans ses discours. Non pas comme chez de Gaulle par leur puissance sur les esprits, mais par le courage dont il fait preuve pour y combattre son bégaiement. À chaque mot, le regard un peu perdu, il risque le bégaiement et l’évite de justesse. Ce travail opiniâtre intimide les journalistes qui n’osent pas l’interrompre.

Dans le JDD du 22 décembre 2024, comme en résonance avec la pensée gaullienne sur le caractère d’un chef, le journaliste Antonin André à propos de François Bayrou se demandait, « si son moteur était davantage l’ambition personnelle que sa capacité à être une solution pour les Français ». Certes, François Bayrou montre du courage à pousser victorieusement ses mots vers ses auditeurs. Mais cela montre qu’il se bat d’abord contre lui-même et pour lui-même. Cela peut se comprendre, on ne saurait lui en faire reproche. Il semble donc que son moteur soit d’abord l’ambition personnelle. Voici ce qui nous le fait penser.

Bégaiement et éloquence : notre méthode à L’École de l’Art Oratoire

Travaillant depuis longtemps pour l’Association Parole Bégaiement (APB), nous apprenons aux personnes bègues, plutôt qu’à craindre les regards de leurs auditeurs, à s’intéresser d’abord du regard à leurs auditeurs. Le regard d’intérêt qu’ils apprennent à porter sur leur public les redresse, libère leur respiration et leur permet de travailler leur voix. Ils la placent alors instinctivement au-dessus du larynx, à l’arrière de la tête, pour la rendre belle. Ce travail détend leur face et leur bégaiement disparaît. Ils s’oublient et oublient leur bégaiement. Ils ne travaillent donc plus à partir d’eux-mêmes et pour eux-mêmes, mais à partir des autres et pour les autres. Leur seul moteur est alors dans leur « capacité à être une solution » pour leurs auditeurs.

Le jour où François Bayrou fera oublier dans ses discours le risque du bégaiement, il montrera le caractère d’un chef apte à sortir son pays d’une crise. Il faut le lui souhaiter, pour lui-même et pour le pays.

 

Stéphane André