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André Malraux : une voix mémorable

Claude Mauriac, fils de l’écrivain François Mauriac, fut le secrétaire du Général de Gaulle d’août 1944 à septembre 1948. Dans son ouvrage Aimer de Gaulle, il publie le journal de ses rencontres avec le Général et les personnages qu’il côtoyait.

La puissance de la voix d’André Malraux

Le 7 juillet 1947, il rapporte au Général ce qu’il a vécu lors d’une réunion du Rassemblement du Peuple Français (RPF) à laquelle assistaient trente mille personnes. Toujours soucieux de se tenir au-dessus des partis, le Général, pourtant père du RPF, n’y avait pas assisté. Claude Mauriac écrit : « Je lui décrivis […] l’admirable intervention de Malraux, commençant à son habitude sur un tel rythme que nul ne pouvait très bien comprendre […] et puis trouvant peu à peu sa cadence, comme un torrent son lit. Et ce fut alors une grande voix prophétique qui tint en haleine la salle électrisée, la voix d’un mage, d’un poète, d’un chef religieux. »

Au début du discours, Claude Mauriac a vu le André Malraux qu’il connaissait, nerveux et fébrile dans ses conversations privées, à peine compréhensible tellement ses mots se bousculaient dans sa bouche. Puis l’orateur a trouvé sa cadence. Il s’est alors métamorphosé en un personnage qui n’avait plus de Malraux que l’apparence physique. La voix qui sortait de son corps était à la fois celle d’un mage, c’est-à-dire un visionnaire, celle d’un poète, c’est-à-dire un artiste, et celle d’un chef religieux, c’est-à-dire d’un orateur reliant tous ses auditeurs en un seul peuple (« religieux » est ici à prendre dans le sens retenu par le philosophe Edgar Morin : ce qui relie).

Explication technique. Après une période de grande solitude au début du discours, André Malraux a réussi à caler son regard sur le public. Il lui a fait une place dans ses silences, pour le laisser respirer. Il y a trouvé sa propre respiration et avec elle la puissance et la musicalité d’une grande voix. A sa seule écoute Claude Mauriac a saisi tout à la fois une vision -peut-être celle de la Cinquième République voulue par de Gaulle, qui adviendra en 1958-, la beauté du discours, et sa capacité à rassembler tout un peuple.

Discours de Malraux en hommage à Jean Moulin : une voix marquante

On réentendit la voix superbe de Malraux le 19 décembre 1964, dans le discours qu’il prononça pour l’entrée des cendres de Jean Moulin au Panthéon. La France entière ce jour-là a connu Jean Moulin. Et Malraux fut encore visionnaire lorsqu’il prédit que « le vingt et unième siècle [serait] spirituel ou ne [serait] pas ». En témoigne aujourd’hui le retour en force des religions dans notre actualité sociale et politique.

Les textes les plus inspirés et les plus beaux ne viennent qu’aux grandes voix. C’est pourquoi, dans le rapport qu’il fit au Général du discours d’André Malraux, Claude Mauriac ne mentionna que sa voix. Il eût été superflu qu’il lui rapportât ses mots.

 

Stéphane André