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Posture, regard, discours : analyse de l’interview de Michel Barnier

À la veille du vote à l’Assemblée nationale de la motion de censure qui allait faire tomber son gouvernement le 5 décembre, Michel Barnier a reçu à l’Hôtel Matignon Anne-Sophie Lapix et Gille Bouleau pour une interview diffusée en direct sur TF1 et France 2.

Posture de Michel Barnier : pas de fonction sans verticalité

Tout au long de cette interview, tête en avant, vouté, accoudé à la table comme pour une discussion privée, cet homme pourtant de grande taille ne faisait pas plus grand que les deux journalistes. Parfois même, il faisait plus petit. En son temps le Président François Mitterrand, pourtant plutôt petit, faisait beaucoup plus grand quand il répondait en pareille circonstance aux questions d’Alain Duhamel ou d’Albert Duroy. Il se tenait très droit.

Que l’on adhère ou non à leur point de vue, il faut reconnaître aux orateurs verticaux le mérite d’incarner leur fonction. Ils proposent à leurs auditeurs un véritable personnage, toujours plus grand que leur personne et qui la fait oublier. Les orateurs au dos relâché au contraire ne proposent jamais que leur personne qui en vaut cent autres. Ils n’incarnent donc pas leur fonction. Michel Barnier, depuis qu’Emmanuel Macron l’a nommé Premier ministre, en réalité dans ses apparitions publiques, n’a jamais incarné sa fonction. Il en avait le titre, mais ni la verticalité et ni par conséquent l’esprit.

Une interview sans regard d’intérêt

Nous avons déjà souligné que Michel Barnier dans ses paroles publiques cherche toujours ses mots dans sa tête en quittant ses interlocuteurs du regard, plutôt que de les trouver en regardant ses interlocuteurs. Il en fut de même dans son interview du 4 décembre. Or seules les attentes des auditeurs visibles dans leurs regards, sont capables de faire grandir les orateurs d’abord physiquement puis intellectuellement à la hauteur de leur fonction. C’est alors seulement qu’ils en trouvent le texte.

Encore faut-il que les orateurs décident de se nourrir de ces attentes, en s’y intéressant dans les regards de leurs auditeurs. Stimulés par ces attentes, ils se redressent instinctivement, comme le tireur à l’arc se redresse quand il s’intéresse au cœur de sa cible avant de lâcher sa flèche. Alors seulement les orateurs sortent de leur carquois cérébral les mots de leur fonction qui feront mouche. Michel Barnier ignore manifestement cette fonction primordiale du regard dans le travail d’un orateur.

Quelques conséquences de l’interview de Michel Barnier

Quelles en sont les conséquences dans son interview du 4 décembre ? Il a parlé des « Français », des « citoyens », des « électeurs », mais n’a cité que deux fois « la France ». Et ce ne fut qu’au hasard d’une logorrhée défensive au cœur de laquelle elle passa complètement inaperçue. La France traverse pourtant une crise qui n’a d’équivalent que celle de 1968. Nous n’avons donc pas entendu le discours attendu d’un Premier ministre. Les deux journalistes non plus. C’est pourquoi ils ne se sont pas gênés pour lui couper la parole, au risque parfois de faire de cette interview une foire d’empoigne. Ils ne se sont pas gênés non plus à la fin de leurs échanges pour l’interroger sur ses sentiments personnels, ce qui n’était pas vraiment le sujet du jour. Ils ne se seraient pas comporté de cette façon avec un François Mitterrand ou un Charles de Gaulle.

Depuis le 5 septembre 2024, date de la nomination de Michel Barnier au poste de Premier ministre, la France a-t-elle été vraiment gouvernée ? Oui bien sûr, par certains de ses ministres. Mais par lui-même ?

Stéphane André