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Affaire Bétharram : décryptage de l’audition de François Bayrou

Aussi fouillée soit-elle, la préparation d’une confrontation publique n’augure rien de son résultat. Pour le dire en termes plus savants, aussi pertinentes que soient l’invention, la disposition, l’élocution et la mémorisation d’un discours, elles ne garantissent pas son succès. Seule l’action dans le débat ou dans le discours en décide. Le 14 mai dernier, François Bayrou, manifestement bien préparé à sa confrontation avec la commission d’enquête du parlement sur l’affaire Bétharram, ne put que sauver les meubles. Il n’a pas su installer sa présence dans l’action.

Dans un débat contradictoire, soit on expose son propre point de vue sur la question débattue, soit on expose le point de vue de l’adversaire pour le réfuter. Dans le premier cas, on tente une extension argumentaire dans la pensée de l’adversaire. Dans le second, on tente une annexion argumentaire dans la pensée de l’adversaire. L’intention est chaque fois pertinente. Ce qui ne l’est pas forcément, c’est l’action qui peut faire échouer ces deux tactiques

Débat entre François Bayrou et Paul Vanier : notre analyse

Face aux attaques notamment du député Vanier, François Bayrou tenta deux types d’extensions argumentaires. Soit des exposés qui ne décollaient pas, parce qu’il les émaillait d’allusions aux interventions précédentes du député ; ne pouvant être présent tout seul dans le débat, il était donc en dépendance argumentaire du député. Soit des lectures de documents sans jamais lever les yeux sur la commission qui l’écoutait ; noyant sa présence dans le document, il n’opéra que des fuites argumentaires dans ses notes. Quant à ses tentatives d’annexion argumentaire du discours du député, peu argumentées, elles se bornèrent toutes au seul reproche qu’il lui répéta à l’envi de déformer la réalité pour susciter le scandale. Elles laissèrent le député de marbre. François Bayrou était encore là en dépendance argumentaire de son adversaire.

Ni l’intelligence du Premier ministre, ni sa préparation du débat ne sont en cause dans ce demi-échec. Seule son manque de présence dans l’action fut en la cause. Son opiniâtreté seule l’a sauvé du naufrage.

Une chose est de se préparer intellectuellement à la relation que l’on vivra dans un débat, une autre chose est de vivre émotionnellement cette relation. Dans son livre L’erreur de Descartes, le neurobiologiste Antonio Damasio, écrit : « L’émotion est un état du corps ». Comment François Bayrou dans ce débat s’est-il positionné physiquement par rapport à son adversaire ?

Prise de parole de François Bayrou : décryptage de sa posture

Quand il parlait sans notes, il était voûté. Penché physiquement vers le député, il s’y appuyait aussi intellectuellement. C’était un état général. On aurait dit un boxeur fatigué en fin de combat se collant à son adversaire pour gêner son allonge. François Bayrou traitait ainsi instinctivement un trac probable qu’on ne saurait lui reprocher dans cette circonstance. Et quand il lisait ses documents, il se voutait dessus pour les lire, comme pour s’y cacher. C’était encore une façon instinctive de traiter son trac. Cette réaction de beaucoup d’orateurs face au danger est purement animale. Mais si vous la leur pointez après coup, ils tombent des nues. Ils vous répondent tout de suite et de bonne foi qu’ils n’avaient pas le trac. C’est bien normal puisque leur posture les en débarrassait.

Jamais, dans cette confrontation du 14 mai 2025, on ne vit François Bayrou se redresser de toute sa taille. Nous sommes pourtant les seuls animaux naturellement verticaux dans le règne animal, et les seuls capables en même temps de dominer nos instincts. L’un ne va pas sans l’autre dans la parole publique.

Mais attention ! Si nous prenons soudain conscience que notre corps se voûte dans la tourmente d’un débat difficile, décider de nous redresser ne suffira pas. Bien au contraire. Ce serait tenter de supprimer le défaut sans traiter sa cause. Le trac reviendrait aussitôt, ce qui montre bien que notre voussure, qui fondait notre présence dans la pagaille générale, le traitait. La cause est dans notre regard, mais c’est une autre histoire. On entre là dans la technique.

 

Stéphane André