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La beauté des discours fait l’histoire des hommes

Deux grands orateurs politiques ont marqué l’histoire de notre pays après la Deuxième Guerre mondiale. Le général de Gaulle lui a rendu sa place dans le concert des nations. François Mitterrand, en travaillant avec Helmut Kohl à la réconciliation avec l’Allemagne, a donné à la France un rôle central dans la construction de l’Europe. Les grands orateurs ne font pas de grandes choses par hasard. Ils les font parce que ce sont de grands orateurs. Nos politiques aujourd’hui semblent avoir du mal à prendre le relais de ces deux Présidents, qui appartiennent désormais au passé. Mais sont-ils, pour y parvenir, des orateurs à leur hauteur ?

Des discours historiques

Dans son livre Journal d’un observateur (Éditions de l’Observatoire), le chroniqueur politique Alain Duhamel évoque le discours de François Mitterrand du 20 octobre 1981 à Cancún, au Mexique. Il parle d’« un texte lyrique, superbe et emporté ». À l’époque, il fit à François Mitterrand, qu’il voyait souvent en privé, la remarque que son discours lui rappelait celui du général de Gaulle à Phnom Pen en 1966, dont, lui dit-il, « les magnifiques envolées n’avaient eu aucune retombée politique concrète, sinon celle de scandaliser les États-Unis ». Ce ne fut tout de même pas rien. Et presque quarante ans plus tard, en 2003, le discours du gaulliste Dominique de Villepin à l’ONU, prenant parti contre l’entrée en guerre des Américains en Irak, entrait curieusement en résonance avec le discours de Phnom Pen de Charles de Gaulle, qui avait pris parti contre la guerre des Américains au Viet Nam. Comme quoi les envolées lyriques des grands orateurs font parfois l’histoire. En l’occurrence, celle des relations exigeantes entre la France et les États-Unis, lancées par le général de Gaulle, n’est sûrement pas terminée.

Argumenter suffit-il pour convaincre ?

Le gotha des intellectuels français, dont fait assurément partie Alain Duhamel, ne retient jamais d’un discours politique que le logos, c’est-à-dire le contenu argumentaire. Il admet parfois que l’ethos (la notoriété et la personnalité de l’orateur) soit aussi pour quelque chose dans l’impact d’un discours sur l’histoire. Mais il se méfie comme de la peste du pathos, c’est-à-dire de l’émotion qu’il peut susciter. Ce ne serait qu’un feu de paille enchantant le public au moment du discours, dont ne subsisterait ensuite qu’un écran de fumée destiné à en masquer le vide. Au mieux, et puisqu’on ne saurait condamner ce qui est évidemment beau, certains diront que la beauté persuade, mais certainement pas qu’elle convainc. Artifice de langage qui ne saurait masquer leur méfiance à l’égard de la beauté du discours.

La beauté, vecteur du sens

À la critique que lui apportait Alain Duhamel sur son discours de Cancún, François Mitterrand répondit que « pour comprendre l’histoire, il valait mieux parfois être poète que géomètre ». La beauté n’empêche pas le rationnel, au contraire elle le sublime. Elle fait vivre au public la sensation qu’a le grand orateur de la conviction qui l’anime, par conséquent le sens profond de son discours. Ce peut être par exemple une certaine idée de la France, ou de l’Europe. De sorte que le public vit ce sens en même temps que l’orateur le revit lui-même en l’exposant. Comment dès lors lui résister ?

Sans pathos, le logos et l’ethos d’un discours n’ont pas de sens. Ou ils n’ont de sens que celui que chacun voudra bien leur donner. Par conséquent ils ne feront jamais l’histoire de l’organisation quelle qu’elle soit où se tient le discours. Souvenons-nous toujours de cela dans notre vie publique, quand nous prenons la parole au titre de notre mandat ou de notre métier.

Stéphane André