Retourner sur le site

Robert Badinter, grand orateur par conviction

Dans Justice toujours (édition L’Aube), recueil d’entretiens de Robert Badinter avec Eric Fottorino et Laurent Greilsamer, on trouve ces paroles du grand avocat prononcées le 15 septembre 2021 : « Quand je suis sorti à l’aube de la prison, bouleversé par ce que j’avais vu, j’ai longé les hauts murs de l’établissement et je me disais : Ce n’est pas possible, jamais plus ! Tant que je pourrai, je combattrai la peine de mort. Une justice qui tue, ce n’est pas une justice. Ce n’était jusque-là qu’une opinion, c’est devenu une conviction. »

Cette prison, c’était la prison de la Santé. Le 28 novembre 1972, il venait d’assister à l’exécution de Roger Bontems qu’il avait défendu et qui pourtant n’avait pas de sang sur les mains. Ensuite, avant d’arracher en 1881 au parlement l’abolition de la peine de mort contre l’opinion de 62 % des Français, cinq fois de suite Robert Badinter sauva la tête de condamnés à mort devant la Cour de cassation.

Réussir à parler en se laissant guider par ses convictions

Il fut un grand orateur d’abord parce qu’il fut un homme de conviction. Elle lui fit trouver les paroles pour convaincre d’abord les jurés de ces cinq procès, puis les parlementaires en 1981. L’Art Oratoire part d’un savoir-être avant d’être un savoir-faire.

Nous avons étudié l’art des grands orateurs. Nous avons aussi lu ce qu’ils ont dit de leur pratique. C’est pourquoi nous sommes certains aujourd’hui de transmettre à celles et ceux qui frappent à la porte de notre école leur savoir-faire au travers d’une technique éprouvée. Disparition des défauts d’expression, maîtrise de la pensée dans l’action, naissance d’un style, et attention soutenue bien méritée de tous leurs auditeurs, tels sont les résultats de notre enseignement. Nous en faisons de bons orateurs. Mais ils n’auront de chance de marcher dans les pas des plus grands que si leurs paroles sont animées d’une conviction. De simples opinions n’y suffiront pas. J’ai toujours eu la conviction que la pratique de l’Art Oratoire pouvait me sortir de mon bégaiement. Habité par cette conviction, je suis allé jusqu’à l’enseigner, puis à rencontrer des compagnons qui m’ont aidé à fonder notre école.

Le regard est décisif lors d’une prise de parole

Plus loin dans sa conversation avec Eric Fottorino, Robert Badinter explique : « Le procès Buffet-Bontems m’a fait mesurer la part d’irrationnel dans une audience. L’équation logique – Bontems n’a pas tué, donc il ne peut être tué – ne suffisait pas, puisqu’on l’avait exécuté ». Et il poursuit : « Peu importe le style, les procédés rhétoriques. Je l’ai senti tellement profondément… L’essentiel, c’est de saisir le regard des jurés, c’est de ne jamais perdre le contact, de parler sans notes. Vous pouvez avoir une feuille devant vous avec trois ou quatre thèmes. Pas plus ! ».

S’inspirer du public

À la conviction, source de tout discours, Robert Badinter ajoutait ici son but : l’autre qu’il faut convaincre et son regard qu’il ne faut jamais perdre. Pendant le discours, Robert Badinter ne conservait que sa conviction et laissait le public lui inspirer le reste. C’est ce qu’il vivait comme la part d’irrationnel dans la conduite du discours. Elle venait de la confiance qu’il décidait de placer dans son public, bien plus que dans ces notes, en rencontrant ses regards. C’est ainsi qu’il entrait physiquement dans le savoir-faire, la technique, à partir du savoir-être, la conviction.

Le mois dernier, Robert Badinter est entré au Panthéon. Souvenons-nous toujours que derrière les mérites qui lui ont valu cet honneur, le premier et le moins souvent cité, pourtant à l’origine de tous les autres, fut l’excellence de son Art Oratoire.

Stéphane André