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L’importance de dépasser le discours écrit à l’oral

Beaucoup d’orateurs entrent en scène concentrés sur ce qu’ils vont dire, soucieux qu’ils sont de ne rien oublier. Beaucoup ont écrit leurs discours et vont le lire. Ils pensent ainsi bien faire parce qu’ils ont été formés à cela. Les paroles s’envolent, seuls les écrits restent, dit-on. Écris donc ton discours. Ce que tu as écrit ne sortira pas de ta tête puisque tu vas le lire. Il te faudra aussi « mettre le ton », pour faire en sorte que tes paroles, au moins les plus importantes, même si ce ne sont que des paroles, s’impriment tout de même dans la mémoire de tes auditeurs. Et surtout, écrire ton discours te permet de bien réfléchir aux arguments que tu exposeras à tes auditeurs pour bien te faire comprendre. Au fond, ce travail parfait de préparation fait de toi un auteur, c’est-à-dire celui qui fait autorité. Tu n’auras plus qu’à lire ton discours ou, si tu te sens de le faire, à l’apprendre par cœur.

Prendre en compte le public pour construire son discours

C’est à peine caricaturer l’état dans lequel se mettent beaucoup d’orateurs de notre vie publique. Dans cette conception de l’Art Oratoire, le public n’est pas requis dans le processus de construction du discours fini. Le public n’est pas consulté puisqu’il n’est pas présent pendant cette préparation. Bien sûr, pendant le discours, l’orateur percevra quelques-unes de ses réactions. Mais, surtout préoccupé de suivre le chemin prévu de son discours, saura-t-il les voir et interpréter correctement celles qu’il verra ? Elles ne provoqueront chez lui que la correction de détails, mais n’auront aucune chance de faire sortir l’orateur de la ligne du discours. Il a l’impression que s’il en sortait pour y associer le public, il se perdrait. Il en reste donc le seul auteur.

Que les orateurs retrouvent leurs publics !

Cette culture de la préparation sur-élaborée du discours (voir les éléments de langage en politique) associée à la disparition progressive du rôle du corps, et par conséquent de celui des sens dans la pratique du discours (observez les postures négligées dans les débats télévisés), contribue à isoler l’orateur de son auditeur. On voit bien en politique aujourd’hui comment chaque parti dans les débats répète à l’envi son point de vue jusqu’à le radicaliser. L’adversaire fait peur, on s’en protège. Dès lors, comment le compromis, que chacun invoque aujourd’hui comme un vœu pieux pour sortir de notre crise politique, pourrait-il advenir ? Cette question est à poser à tous les orateurs de notre vie publique et pas seulement aux politiques, mais aussi aux managers de nos entreprises, aux syndicalistes, aux enseignants et à bien d’autres.

Maitriser son objectif de prise de parole

Il est plus que temps d’inverser la vapeur. D’ouvrir nos sens à celles et ceux qui nous écoutent, à l’adversaire en politique, au collaborateur dans l’entreprise, à l’élève ou à l’étudiant, pour en faire les maîtres du chemin de nos paroles publiques. Nous ne conserverons que la maîtrise de l’objectif. Il sera notre port d’arrivée, et nous pourrons d’ailleurs très bien décider d’en changer en cours de route. Ce qui ne nous empêchera pas de préparer nos discours comme nous l’entendrons. Mais, entièrement tournés des yeux et des oreilles vers nos publics, nous en terminerons la construction avec eux. Ils en seront ainsi les coauteurs.

Stéphane André