Le cerveau a besoin du corps pour penser
On trouve en ce moment sur internet un texte de Christophe Clavé, consultant et ancien DRH. Il propose une explication de la baisse du QI depuis 20 ans dans les pays les plus développés. « Moins de mots et moins de verbes conjugués implique moins de capacité à exprimer des émotions et moins de possibilités d’élaboration d’une pensée » écrit-il. Et plus loin : « Plus le langage est pauvre, plus la pensée disparaît ». Il explique ainsi dans ces pays la montée de la violence. Il évoque même « 1984 » de Georges Orwell qui montre que les régimes totalitaires « ont toujours entravé la pensée, par une réduction du nombre et du sens des mots ». Face à ces menaces, il ne peut que supplier les parents et les enseignants de réenrichir le langage des enfants. Nous restons sur notre faim. Enrayer ce dangereux processus exige d’abord qu’on en détecte la cause. Nous pourrons ainsi agir sur elle.
Dans les pays les plus développés, depuis longtemps déjà le corps des orateurs est démobilisé par la facilité qu’apporte le micro. Aujourd’hui, dans les réunions en visio on ne voit même plus les corps. Il ne reste que des têtes posées devant des écrans. Souvent des têtes d’Elephant man, au front d’hydrocéphale ou à la mâchoire monstrueuse. Enfin puisque le courrier électronique finit par remplacer le téléphone, déjà invisibles les corps ne seront bientôt plus audibles.
Il y a quelques années, lors d’un séminaire d’Art Oratoire dans une agence de publicité, les participants s’entraînaient à des présentations en anglais.
Notre enseignement ne portait que sur l’engagement du corps des orateurs, non sur la connaissance de l’anglais. Pourtant, plus les participants retrouvaient l’équilibre du corps dans leurs exposés (trop préoccupés à chercher leurs mots dans leur cerveau, au début du séminaire ils le laissaient s’avachir), moins ils commettaient de fautes d’anglais. Et plus, progressivement, leurs exposés devenaient riches et percutants. La pratique de cette langue étrangère rendait flagrant le lien de cause à effet. Nous vérifions ce lien tous les jours chez nos élèves dans la pratique de leur langue maternelle. Un manque de maîtrise de la langue et une pensée qui s’efface, sont toujours précédés d’une défaillance physique de l’orateur.
La cause de l’appauvrissement du langage dans notre monde développé, et par là de la disparition de la pensée, est le retrait des corps de notre vie publique. Bientôt il n’y aura plus sur internet que des rumeurs, des slogans et des fake news, sans aucune voix critique assez puissante pour les arrêter.
Dans Le dépit amoureux de Molière, le valet Gros René clame : « Un corps sans chef est pire qu’une bête ! ». C’est surement vrai. Mais que dirait-il alors d’un chef sans corps ? Qu’il meurt. Il faut rendre leur corps aux orateurs. C’est ce à quoi se consacre notre école, militant pour le retour de l’intelligence dans notre vie publique.
Stéphane André