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Discours de passation entre Élisabeth Borne et Gabriel Attal : quelle leçon peut-on en tirer ?

Le spectacle de la passation de pouvoir entre Elisabeth Borne et Gabriel Attal au poste de Premier Ministre, le 9 janvier 2024, n’a pu manquer d’intéresser même les plus étrangers au sujet de l’Art Oratoire. Elle et lui ont illustré à fronts renversés la fragilité du don dans la pratique d’un art, quand il prétend se passer d’une technique.

Jusqu’à ce 9 janvier, nous avions toujours vu Elisabeth Borne discourir à l’Assemblée Nationale le regard rivé sur ses notes, fébrile et tirant dangereusement sur ses cordes vocales. Elle ne paraissait pas douée pour parler en public. Erreur. Pour son discours d’adieu à l’Hôtel Matignon, elle n’a que très peu regardé ses notes et beaucoup son public auquel elle faisait ses adieux. Elle construisait ses phrases sur lui, l’embarquant avec elle, en prenant son temps. Sa voix fut claire, chaleureuse. Son discours sur le travail accompli fut émouvant. Emouvante encore sa conclusion adressée aux petites filles auxquelles son propre parcours devait donner espoir. Nous avons découvert une autre Elisabeth Borne.

Gabriel Attal fit tout le contraire. La seule émotion qu’il transmit fut son trac. Le regard principalement collé à ses notes, il lut son discours rapidement. Ses remerciements à Elisabeth Borne et à ses mentors furent expédiés et ses priorités de Premier Ministre alignées les unes derrière les autres comme dans un catalogue. Sur la fin, on eût dit un élève lisant son devoir sur l’estrade de la classe. Surprise. Gabriel Attal, orateur d’habitude très à l’aise derrière un pupitre, capable d’improviser en regardant son public, souvent émouvant et persuasif, en un mot doué, pouvait décevoir.

 

La démonstration fut claire. Libérée du poids de sa fonction de Premier Ministre et des défis qu’elle a dû y relever, le don d’oratrice d’Elisabeth Borne est enfin apparu. Et le don d’orateur de Gabriel Attal, prenant à son tour ce poids sur ses épaules, à l’inverse a disparu. En Art Oratoire, quand la fonction et l’enjeu pèsent trop lourd sur les épaules de l’orateur, le don ne suffit plus.

Dans tous les arts, le don flatte la paresse. Quand on est doué on ne travaille pas. Travailler un art consiste d’abord dans l’apprentissage de sa technique. Cela demande du sérieux et du temps. La technique maîtrisée apporte à l’artiste la sécurité dans les moments difficiles et, au-delà, elle libère son adresse et son génie créatif. Cela vaut pour l’Art Oratoire. Encore faut-il admettre qu’il soit un art au même titre que la peinture ou la danse. Elisabeth Borne, Gabriel Attal, et tous ceux qui prennent la parole en politique, dans l’entreprise et ailleurs, pour diriger, animer ou persuader, le pensent-ils ?

Les enseignants dans le monde des arts vous diront toujours qu’un élève peu doué qui travaille réussit beaucoup mieux qu’un élève doué qui ne travaille pas. L’Art Oratoire a sa technique. Elle est la raison d’être de notre école.      

 

Stéphane André