Retourner sur le site

Antonio Guterres à l’ONU : un discours sans voix

Le 15 avril 2024, au lendemain de l’attaque de missiles et de drones iraniens contre Israël, les chaînes d’information ont relayé le discours à la tribune de l’ONU de son Secrétaire Général, Antonio Guterres. Il voulait être un « appel à la retenue » pour répondre au « danger d’un conflit généralisé ».

Le plus remarquable de cette prise de parole est que son auteur lisait ses notes et ne semblait habité d’aucune émotion. Sa voix était basse et son ton monotone. Bien sûr il comprenait ses mots dans sa tête. Mais il ne le comprenait pas dans son corps qui en effet n’en vibrait pas. « L’émotion est un état du corps » a écrit le neurobiologiste Antonio Damasio. Antonio Guterres ne vivait pas l’émotion afférente à ce qu’il lisait. Il ne pouvait par conséquent la transmettre et la faire vivre au monde. Être éloquent c’est d’abord émouvoir.

La lecture désincarnée de notes se suffisant à elle-même est un fléau dans nos cénacles politiques. On lit ses notes sans s’émouvoir, ni émouvoir. Or, dans émouvoir, il y a mouvoir. S’émouvoir d’une menace quand on l’exprime, c’est en même temps mettre en mouvement sa propre pensée et celle de son auditoire, pour agir face à elle. Un grand orateur aurait obtenu ce jour-là que l’ONU bousculât son sacro-saint ordre du jour pour débattre sur le champ des solutions pour la conjurer. Au lieu de cela, servilement penché sur ses notes, fossile d’une pensée qui n’a existé qu’au moment de leur écriture, Antonio Guterres a benoîtement pris acte de la menace. Il l’a entérinée, comme c’est le rôle de l’écrit dans l’histoire. Entériner ses états successifs. Mais, pour agir face à ces états, il faut l’oral.

 

Quelques jours après cette prise de parole d’Antonio Guterres, la couverture du journal L’Express annonçait en pleine page « ONUL »A l’intérieur, Hélène Vissière titrait son article : « Antonio Guterres, l’homme qui prêche dans le désert ». Elle s’est trompée. A la tribune de l’ONU, on n’est pas dans le désert. Antonio Guterres n’a tout bonnement pas prêché. On peut regretter que comme la plupart des journalistes Hélène Vissière ne soit pas sensible à l’Art Oratoire des politiques (sauf quand les politiques n’en proposent qu’une caricature, comme les show-men Mélenchon et Trump). Mais au moins son article a-t-il le mérite de pointer le résultat des laborieux discours d’Antonio Guterres. Elle cite notamment l’historien Stéphane Schlesinger : « De son [premier] mandat [à la tête de l’ONU jusqu’à fin 2021], on retient un côté fade bien que consciencieux ». Aujourd’hui, Antonio Guterres lit toujours aussi consciencieusement ses discours. Mais Hélène Vissière l’excuse aussitôt en citant « un autre connaisseur de l’organisation » qui se désole : « Le Secrétaire Général n’a pas d’argent, pas de pouvoir de sanction ». À quoi donc pourrait lui servir de prêcher ? Encore une journaliste qui ne croit pas à la force du discours.  

Nous avons déjà évoqué dans nos articles des orateurs politiques qui n’avaient ni argent, ni pouvoir de sanction. Pourtant, par leur seule voix ils sont entrés dans l’action et y ont entraîné l’humanité pour la sauver de graves menaces. Au poste qu’ils occupaient, leur voix a remué le monde.

Vocalement inexistant à la tête de l’ONU, Antonio Guterres n’a que très peu de chance d’y faire l’histoire.

 


Stéphane André