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Donner plus de sens au travail grâce à la prise de parole

Le journal Le Parisien du 4 novembre alertait sur le fait que 14% des jeunes diplômés recrutés dans l’entreprise la quittent pour s’engager dans des métiers qui ont plus de sens pour eux. A côté des causes dues aux horaires de travail qui ne laissent plus assez de temps pour la vie personnelle, beaucoup de démissionnaires se sont sentis de simples exécutants. Les deux raisons indiquent que les salariés s’épanouissent de moins en moins dans l’entreprise. Ils s’ennuient.

L’ennui existe aussi en milieu scolaire. Mais les enfants qui s’ennuient à l’école ne peuvent la quitter du jour au lendemain comme les salariés quittent leur entreprise. Contraints de vivre ensemble sans y trouver de plaisir, ils se « vengent » en persécutant des boucs émissaires, tandis que les salariés, eux, démissionnent. C’est pourquoi on ne parle pratiquement pas de harcèlement dans l’entreprise, tandis qu’à l’école il devient une cause nationale.

Un individu ne s’ennuie plus dans une organisation quand il s’approprie son projet. On dit alors qu’il est holomorphe avec l’organisation. Qui peut faire en sorte qu’il le devienne, si ce n’est le responsable de l’organisation en lui transmettant son projet comme on passe un relais ? Pour le salarié, ce responsable est son manager, pour l’élève son professeur. La transmission du relais doit d’abord se faire quand ils exposent le projet de l’organisation, lors du recrutement dans l’entreprise ou au premier jour de classe à l’école. Et elle doit ensuite se poursuivre quand ils prennent leur part dans l’exécution du projet, le manager en animant son équipe, le professeur en donnant ses cours. La transmission du relais se fait toujours par la parole.

 

La puissance d’un orateur éloquent réside dans sa capacité à faire vivre au public le projet qu’il expose, comme lui le vit en l’exprimant. Cela suppose qu’il en soit ému. Alors son public l’est aussi en l’écoutant et se voit déjà servir le projet. Nous savons, comme nous l’avons souvent écrit ici, que seule la voix bien placée de l’orateur peut provoquer cette émotion, tant dans son propre corps que dans celui de ses auditeurs. Mais la cause profonde de la détermination des auditeurs à s’engager à leur tour dans le projet n’est pas là.

On prend toujours la parole dans la vie publique pour apporter aux autres un projet qu’ils n’ont pas. Ce qui signifie que les interlocuteurs ne se connaissent pas encore en train de réaliser ce projet. En écoutant l’orateur éloquent qui leur passe le relais de son projet, certes ils se voient le prendre et cela les exalte. Mais dans le même temps, ils savent bien qu’ils sont encore sagement assis sur leur chaise. Ce qui leur donne donc envie de se mettre debout et de courir à leur tour, c’est la possibilité qui leur est offerte de se découvrir eux-mêmes s’impliquant pour de vrai dans la réalisation d’un nouveau projet. Alors ils ne s’ennuient plus. Ils ne songent pas à servir d’autres projets ni à se venger parce qu’ils n’en ont plus.

On ne résiste pas à une envie de se découvrir soi-même dans une nouvelle expérience. C’est cette envie et elle seule qui entraîne le collaborateur à servir le projet de l’entreprise, et l’élève à travailler pour servir le projet de l’école.

 

Stéphane André