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L’éloquence ne se construit pas sur la bienveillance

L’interdiction du port de l’abaya dans les écoles a été généralement bien accueillie par les directeurs d’établissements et les enseignants. C’est un soutien que leur apporte le Ministre Gabriel Attal. Mais ils ne pourront pourtant se contenter de signifier cette interdiction en deux mots aux contrevenantes. Depuis l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty, défendre la laïcité comporte trop de risques. Il est donc conseillé au personnel des établissements d’expliquer cette interdiction. En visite dans un établissement scolaire et interviewé par le Youtubeur Hugo Travers, Emmanuel Macron a recommandé la bienveillance à six reprises, pour l’expliquer.

Le Président est dans l’air du temps, la bienveillance est à la mode. On l’entend couramment conseillée aux orateurs pris de trac pour attirer la sympathie de leur public. Leur trac n’est pas honteux, pas plus que la peur d’un enseignant d’être attaqué dans la rue pour avoir défendu le droit à la caricature ou l’interdiction de l’abaya. Mais cette recommandation d’Emmanuel Macron sent furieusement l’idée d’amadouer une population qui fait peur. La bienveillance serait donc seulement simulée et ne tromperait pas les jeunes femmes porteuses de l’abaya, d’autant moins qu’elle ne viendrait pas de l’idée de vouloir leur bien -ce que serait la bienveillance- mais seulement de la volonté d’obtenir qu’elles ôtent leur abaya.

Le 10 septembre sur France Info, Clément Viktorovitch, docteur en sciences politiques, spécialiste de la rhétorique et professeur à Sciences Po, réagissait à la recommandation du Président de la République.

Il citait Emmanuel Kant dans son essai Sur le lieu commun « Un gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, tel celui du père envers ses enfants […] est le plus grand despotisme que l’on puisse concevoir ». En effet les citoyens d’un pays ne sont pas les enfants de son ou de ses dirigeants, pas plus que les élèves d’un lycée ne sont les enfants des adultes qui y travaillent. La vie privée n’est pas la vie publique.

Expliquer pour persuader est une tâche courante dans notre vie publique. Il est contreproductif de simuler pour cela une bienveillance qu’on ne ressent pas. Mieux vaut décider d’être à l’écoute de celles et ceux auxquels on parle, quand on leur parle. On trouve alors les mots, les tons et les rythmes propres à leur faire entendre sans choquer, ce qu’on veut leur faire entendre. C’est ainsi que grâce à l’éloquence, les jeunes filles portant l’abaya pourront être convaincues de respecter le principe de la laïcité à l’école. Ce principe trouvera sa place dans leur esprit, sans bousculer ce qui s’y trouve déjà.

Cette écoute associée à la parole passe par le regard d’intérêt décidé de celle ou de celui qui parle pour celle ou celui qui l’écoute. C’est un sentiment qui n’a rien à voir avec la bienveillance.

 

Stéphane André