Les neurones miroirs en politique

Image-1Manuel Valls est un homme politique verrouillé. Cela se lit sur son corps, car le corps et l’esprit vont ensemble. Il était déjà verrouillé le jour de sa prise de fonction sur le perron de l’Hôtel Matignon, dans l’hommage qu’il dut rendre à son prédécesseur Jean Marc Ayrault. Le visage fermé, le regard dans le vide, un « heu !… » à chaque silence, des mots et un ton convenu, son compliment était manifestement contraint. Personne à l’époque ne s’en est inquiété, ni dans la presse ni chez les professionnels de la communication, pour qui le corps n’existe pas dans la vie publique. Ils ne trouvèrent rien à redire. Ce discours indiquait pourtant la façon dont Manuel Valls allait gouverner la France et les verrouillages qu’il allait provoquer. Plus lourdes sont les responsabilités, plus grande est la peur d’échouer. Elle conduit certains à se verrouiller pour passer en force au moindre désaccord.

Myriam El Khomri, dans un autre style, s’est aussi verrouillée. On l’a vu quand elle répondit aux questions des députés opposés à sa loi. Cramponnées au micro, la tête en avant et fusillant du regard son adversaire, elle ne comprenait pas qu’on lui résiste. On l’entendit même crier : « Y’en a marre ! », langage peu compatible avec sa fonction de ministre. Quand elle finissait ses réponses, aussitôt prononcé son dernier mot elle se détournait d’un bloc pour retourner à son banc en repoussant violemment le micro. A la télévision on voyait son dos courbé, on l’entendait penser : «  Et m… ! ». Plus tard, pour présenter sa loi à la tribune de l’Assemblée, elle colla servilement au texte de son discours préparé mot à mot par ses conseillers. C’était une façon de gaver l’auditoire réfractaire comme on gave un canard. Quelle différence avec Christiane Taubira, qui défendit la loi sur le mariage pour tous, aussi fameuse que la loi travail, sans se réfugier dans ses notes et en surfant brillamment sur les réactions de ses opposants au point d’obtenir leur estime (cf sur notre site, dans les billets de l’École, « Christiane Taubira, seule oratrice » publié en février 2016). Myriam El Khomri comme Manuel Valls voulait passer en force. Leur recours au 49.3 s’imposait.

Les neurones miroirs sont entrés en action chez les français dès le lendemain. Les plus actifs voulurent aussi passer en force. Réponse du berger à la bergère. Ils exigèrent le retrait de la loi et tentèrent de l’obtenir en verrouillant l’économie : grève, blocage de raffineries, barrage sur les routes. Le patron de la Cgt, Philippe Martinez, n’eut pas grand-chose à faire pour les mobiliser, les deux ministres avaient déjà fait ce qu’il fallait. Le reste des français cautionna objectivement ces actions radicales, en répondant majoritairement dans les sondages que tout cela était de la faute du gouvernement. Chez eux aussi les neurones miroirs entrèrent en action. Ce lundi 30 mai, alors que s’annonce une nouvelle semaine sociale difficile, on apprend que Manuel Valls a téléphoné à Philippe Martinez. Il le fallait bien. On entend dire çà et là que le premier Ministre risque d’être contraint de démissionner si la situation empire.

On peut toujours comprendre la peur à certains niveaux de fonction. Mais, parce qu’il en était victime, Manuel Valls aurait dû travailler son Art Oratoire dès sa prise de fonction à Matignon, et continuer ensuite. En déverrouillant son corps face aux français, il eût traité sa peur et du même coup déverrouillé son esprit. Sans doute aurait-il mobilisé d’autres neurones miroirs chez les français, ceux du partage et de la créativité.

Quand il était encore temps, François Hollande aurait dû remplacer Manuel Valls au poste de Premier Ministre par un véritable orateur à l’esprit déverrouillé. Il s’en trouvait dans son gouvernement. C’était une simple question d’écologie politique. Peut-être le comprend-il aujourd’hui, au vu du climat exécrable qui règne dans le pays, et jusque dans son propre parti.

Stéphane André